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« Le bonheur est une habitude, celle d'être heureux. »

mercredi 30 novembre 2011

Penses-tu réussir ! vu par L'Art Moderne, revue belge

« Revue critique des arts et de la littérature, paraissant le dimanche », L'Art Moderne est fondée à Bruxelles en 1881 et continue ses publications jusque 1914. Portée vers la modernité belge et internationale (française et allemande notamment), elle vise à commenter les événements artistiques et littéraires du temps. En 1897, paraît une chronique en plusieurs livraisons, non signée, intitulée « Les Oiseaux qui viennent de France ». Divers auteurs de l'époque y sont évoqués : Charles-Henri Hirsch, Tristan Klingsor, Francis Jammes, Henry Ghéon ou Viellé-Griffin, par exemple. Dans le n°29, en juillet 1897, Jean de Tinan y apparaît à son tour, aux côtés d'Alfred Jarry et de Charles-Louis Philippe. Voici ce qu'on dit de lui :
 


M. Jean de Tinan, dont l'esprit attique doit être disposé à tous les éclectismes, comprendra parfaitement que je l'aie, en cette causerie, rapproché de MM. Alfred Jarry et Charles-Louis Philippe. Il doit souvent envier l'émotion naïve de celui-ci et la scatologie du premier ne saurait lui déplaire. Son livre Penses-tu réussir ! (et veuillez remarquer le scepticisme de ce point d'exclamation) est vraiment une très remarquable chose. Le talent y abonde, l'esprit n'y fait guère défaut ; verve et abondance s'y disposent agréablement. La réussite que recherche M. de Tinan n'est point, ainsi que pourraient le faire croire les antécédents de notre auteur, l'heureuse issue de l'arrivisme, mais bien le succès de la vie même ; et par là, ce frivole volume, sous une attention ingénue, prendra un aspect grave et solennel. Raoul de Vallonges – et j'ai hâte d'introduire le héros romanesque de peur que l'on me soupçonne de faire des personnalités  – se disperse en de nombreuses amours sans qu'aucun ne le satisfasse et lui donne la définitive émotion de l'Amour. Ses tentatives le consument, sans l'épuiser. Il pressent la faillite de sa destinée. Il ne veut néanmoins renoncer à l'espoir et au désir, car il a confiance en son coeur humain. Tel est le sujet.
Quelques réservées qu'elles pussent se faire, il serait indiscret d'avancer des présomptions ; au surplus, elles ne sauraient qu'être déplacées en cet endroit et l'effort d'art seul requiert notre jugement. Or, il y a là  – et je l'ai déjà dit  – un extrême talent. La lecture de ce livre est charmante et facile. Imaginez de délicieux ou brutaux épisodes, des grâces de femmes penchées et alanguies, des étreintes vénales ou passionnées, tout cela dans une activité de circonstances et d'événements, un fouillis de méditations et de lyrismes, qui peuvent nous étourdir parfois mais jamais nous lasser. Je pourrais vous désigner d'adorables pages d'une langue souple et vivante, telle péripétie de délicate et fragile analyse. Cependant j'estime qu'un grave défaut altère ce roman : il manque d'émotion. Une perpétuelle ironie dessèche les possibles sensibilités. Sans doute l'ironie n'est, comme chez Lafargue et Gide, qu'un affectueux sourire à l'existence. Ici, malheureusement, elle altère le sentiment même. Toujours retenu et raillé, le cœur de M. de Tinan n'ose plus palpiter et  – fâcheuse conséquence  – nous ne trouvons point en l'art qu'il anime en merveilleuses concordances qui font que nous pouvons reconnaître fraternelle et sympathique une œuvre. C'est parce que M. de Tinan a beaucoup de talent que nous exigeons de lui un peu de génie.



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Cet article est intéressant, dans le sens où il représente l'exact contraire de critiques plus répandues. Tout d'abord, et nous le disons sans rire, parce qu'il ne fait pas erreur sur le titre du roman et qu'il en commente avec pertinence la ponctuation (la grande majorité des chroniques parlant de Penses-tu réussir ? avec point d'interrogation) ; d'autre part, parce qu'il se refuse à « faire des personnalités » alors qu'on s'est intéressé et que l'on s'intéressera encore aux romans de Tinan en premier lieu pour leur implication autobiographique. C'est par ailleurs un élément qu'on lui reprochera beaucoup, au cours du XXe siècle. Enfin, cet article touche à la question de l'ironie qui divisa beaucoup : représentant pour certains l'essence même de la qualité de l’œuvre, elle est jugée ici comme desséchante – ce que Tinan évoque lui-même dans son Argument pour un livre à paraître intitulé Nos pauvres jalousies : «Tu le liras un soir, – malgré les sécheresses, les tristes ironies, les lyrismes maladroits ou menteurs. »

Petit appel :  
Si l'un de nos lecteurs sait qui, parmi les rédacteurs de la revue, pourrait se cacher 
derrière l'écriture de cet article, nous serions ravis de bénéficier de sa science ! ^^

A bientôt !

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